On a décidé de rejoindre Sapa en bus de nuit directement depuis l’île de Cat Ba. Les bus de nuit Vietnamiens ont une petite spécificités : vous vous installez dans des sièges où vous êtes complètement allongé. Pas juste inclinés, vraiment allongé. De quoi passer une nuit plutôt confortable …ou presque. On arrive à Sapa le 20 Novembre à 3H du matin. On nous avait indiqué qu’on pourrait dormir dans le bus jusque 6H. Effectivement, on pourra, après…après le réveil toutes lumières allumées et musique à fond, à 3H, pour que les gens qui habitent ici et descendent, eux. Un bébé hurle. On le comprend, on a presque envie de faire pareil…
A 6h30, tout le monde descend. On peut finir notre courte nuit. Au réveil, une ville dans la bruine et le brouillard, complètement boueuse nous attend. Au départ, je crois que les rues ne sont pas goudronnées. En fait, si, mais sous la couche de boue qui recouvre l’asphalte.
Nous sommes face au grand marché couvert, tout neuf, comme la gare routière d’ailleurs. Les premiers vendeurs s’installent. On découvre les premières femmes des tribus des montagnes, venues vendre ou acheter quelques marchandises.
Si on n’était pas si fatigués, on apprécierait ce moment particulier où la ville s’éveille doucement. Il nous faut un café d’urgence.
Le café vietnamien est une autre expérience : il faut savoir que le Vietnam est l’un des premiers producteurs au monde ! Sa spécialité : le robusta. Et ici, on le boit « robuste ». Geoffrey et moi aimons le café fort, on a un petit faible pour les « ristretti » italiens. Le café vietnamien ? Il s’en rapproche un peu. Il se boit très très serré, dans une tasse ou un verre sur lequel on dépose un filtre individuel : chacun passe son propre café. Il est presque liquoreux, mais contrairement au ristretto italien dont on ne boit qu’une ou deux gorgées, ici on en boit une grande tasse.

Ca y est, on est parfaitement réveillés, c’est sûr ! On se sent comme Asterix qui aurait bu sa potion magique !
On arrive au lac qui rythme le coeur de Sapa, alors que les premiers rayons du soleil tentent de percer l’épais brouillard pour nous révéler le paysage environnant….sans grand succès pour l’instant.

On atteint enfin notre hôtel, sur les hauteurs du lac. On a une belle petite chambre avec vue, et enfin le vent a réussi à chasser une partie des nuages (le paysage jouera à cache-cache avec les nuages toute la journée). On est entourés de hautes montagnes, en fait ! On le savait mais on n’en est pas moins surpris. On ne s’attendait pas à avoir ce sentiment de « station de ski ». Il fait bien 15 degrés de moins que dans la baie d’Halong d’ailleurs. Alors, à midi, on a repéré un petit restaurant tenu par un chef français (on imagine vu la carte) qui sert « de la tartiflette ». Hum !! On se régale ! Y’a pas de raison que nos amis français aient ouvert la saison de la raclette et pas nous !
Petite promenade digestive au bord du lac. La ville se donne des airs de station thermale avec ses jolis bâtiments coloniaux. Au delà… Sapa est en travaux un peu partout, et pousse comme un champignon. Nouvelles routes, nouveaux hôtels de luxe, nouveaux, nouveaux…Ceci explique le côté boueux ambiant…La ville est en pleine transformation. Ceci nous rappelle un peu Jinshanling et la Muraille de Chine : Le sentiment de passer « à un cheveux » d’un tourisme de masse en train d’arriver à grand pas.
On croise de nouveau pas mal de femmes en tenues traditionnelles, proposant bijoux, broderies faites à la main, ou encore de nous guider pour un trek à travers les montagnes : ici tout touriste se rendant à Sapa vient pour treker parmi les plus belles rizières du pays. On croise aussi pas mal d’enfants très pauvres, sales et pieds nus, mendiants. On a du mal…
Renseignement pris, ces femmes des tribus qui vous proposent de vous guider pour un trek dans la montagne seront vraiment vos guides. Ce ne sont pas des « rabatteurs » vous menant à une agence quelconque, et leurs habits, non non, elles ne les portent pas pour le folklore : c’est bien leur vêtement de tous les jours… Ce peut être une bonne option donc de partir avec elles à la découverte de leurs terres. De quoi les aider à nourrir leur famille…
Pour notre part, nous avons décidé de partir avec Ethos, une association qui, au delà d’organiser des treks et tours autour de Sapa, a pour vocation d’aider les gens des tribus des montagnes. C’est certain, c’est plus cher, mais on sait aussi qu’une partie de notre argent sera bien employée…
On a donc rendez-vous chez Ethos le 21 Novembre au petit matin. Nous sommes trois couples + Eden. Au final, chacun fera son propre circuit, et nous serons seuls avec notre guide.
Phil, l’un des fondateurs d’Ethos nous explique que les tribus des montagnes ne se sentent pas vraiment vietnamiennes. Chez elles, la notion de clan est la plus forte. Anciennement nomades, ce sont des peuples de chasseurs, qui un jour ont découvert qu’ils pouvaient se nourrir en cultivant. Habituées à vivre en autarcie, les tribus sont à l’origine des superbes rizières en terrasse qui font la réputation de Sapa.
Mais ici, le climat est beaucoup plus extrême que dans le Sud, tropical. Le rendement est très faible, avec une seule récolte par an, et les conditions de culture exigeantes.
Les tribus sont donc très pauvres, leur vie est entièrement rythmée par le riz. Travail harassant au printemps, et en été, au moment du travail dans les rizières, l’hiver est consacré au foyer, réparer ou construire sa maison, fabriquer tissus et vêtements pour les femmes. Le tissus est lui issu de plantes spéciales, puis teint à l’indigo, et patiemment brodé pendant des journées entières.
Au final, les récoltes ne permettent pas aux familles d’être auto-suffisantes, et la disette est encore présente ici régulièrement….
Phil nous apprend également l’origine du développement de Sapa. L’histoire dit que les Français voulurent s’y implanter pour se réfugier loin de la chaleur de Hanoi l’été. En réalité, les Français y avaient découvert que les tribus y cultivaient l’opium, consommé en très petite quantité pour ses vertus médicinales. Et les français ont commencé à troquer cet opium contre du sel ou des pièces d’argent, avec lesquelles les tribus réalisaient des bijoux. Sauf..sauf qu’à un moment les tribus ont annoncé aux français qu’elles avaient assez de sel, et les choses n’ont pas bien tourné…
Durant la guerre du Vietnam, les Américains ont dit aux tribus qu’ils savaient ce qu’elles subissaient de la part des Français, et que si elles les soutenaient, les choses s’amélioreraient pour elles après la victoire. Aussi, bon nombre d’entre elles soutinrent les Américains contre le Vietcong…Quand la guerre fut gagnée par les Vietnamiens, forcément, les choses ne s’arrangèrent pas pour les tribus.
Les Vietnamiens ont aujourd’hui encore tendance à penser que ce sont des « barbares », des gens « idiots »…mais ils les maintiennent dans ce système malsain : sous couvert que les tribus ont besoin de bras pour récolter le riz, leurs enfants ne vont à l’école que le matin, mais ceci toute l’année, même en dehors des périodes de récolte. Les examens sont ensuite les mêmes pour tout le monde, et forcément, ces enfants sont largement défavorisés face aux petits Vietnamiens qui eux ont étudié toute la journée. Résultat : ils abandonnent l’école dès que possible, et le taux d’analphabétisme est l’un des plus importants du pays.
Le tableau étant dressé, Phil nous présente Sing, qui sera notre Guide pendant deux jours. C’est une Hmong noire. Coiffée d’une tresse remontée élégamment et d’un peigne en argent, elle porte une jolie tunique qu’elle a certainement brodée elle-même, un genre de jupe-culotte en velours noir, et des guêtres noires rehaussées de rubans verts à fleurs.
Et on part. Première étape : le marché, car on ne mangera que des produits frais cuisinés à chaque repas. On se retrouve dans le grand marché qu’on n’avait pas eu le courage d’explorer la veille. Notre premier marché Vietnamien. Il est très bien fourni, et ici l’ambiance bat son plein. Sing nous demande ce qu’on aime (ou pas) et met dans sa grande hotte en osier tofu, poulet, fruits et herbes de toutes sortes. Au Vietnam la cuisine est particulièrement savoureuse, avec toutes ces heures fraîches qui agrémentent chaque plat (cerfeuil, citronnelle, coriandres, et bien d’autres inconnues).
La hotte de Sing bien remplie, on part en taxi jusqu’à un point de départ de notre trek. On sillonne les rizières verdoyantes, on croise nos chers buffles, on traverse une petite rivière sur un pont en bambous.

Et on commence à monter. On traverse quelques hameaux, accueillis par les poules, coqs, chiens et autres cochons. Ca grimpe pas mal.
On fait une pause dans la cour d’une petite école. Sing nous explique que ces écoles sont récentes, et permettent aux enfants d’être scolarisés facilement au moins quand ils sont petits. C’est au collège que ça se gâte car il n’est pas facile pour les enfants d’en revenir. Déjà les petits qu’on croise font de sacrées marches pour s’y rendre, à l’école.
Après une bonne grosse grimpette glissante, on arrive à la maison de la famille chez qui on va déjeuner. On aide à la préparation du repas. On découvre l’indigo en train de tremper. Eden joue avec les poules, les cochons et les oiseaux. A l’intérieur, il fait très sombre, et c’est vraiment très rudimentaire. Un âtre à même le sol, près duquel un chat se prélasse. Au dessus de nous, un grenier à riz et à maïs. On déjeune tous ensemble d’un repas excellent, et on apprend à faire « chuca » (santé) avec l’alccol de riz local. Arg ! C’est fort !
On a repris des forces et l’après-midi se poursuit. On discute de choses et d’autres avec Sing, que je pourrais prendre pour une vieille copine. Enfants, famille, son travail de guide…Ici, on se marie jeune, et on a pas mal d’enfants, jeune aussi. On vit en général sous le même toit que ses parents et un ou deux autres frère et soeur (dans la famille où on est passés déjeuner ils vivent à 12) mais Sing, elle, a construit sa propre maison avec son mari.
On découvre les beaux paysages de rizières, même si le riz a déjà été récolté. On se croirait un peu dans les Alpes finalement.

On arrive chez Sing à la fin du jour. Son village n’est accessible par une route que depuis 5 mois (et encore, route à scooters, car 2 voitures ne peuvent pas passer), et n’a l’électricité que depuis 5 ans. Ce sont plutôt quelques maisons. Aussi simples qu’à midi.
Ce soir, on dort chez elle. Ses 4 enfants nous accueillent, mais vite les deux grands se remettent à regarder YouTube sur le smartphone de leur père (même ici, au bout du monde !)…Seule la petite, 2 ans et demi, colle sa mère pour qui une deuxième journée commence : aller chercher du bois, nourrir les bêtes, préparer le diner… avec l’aide de son mari, quand même ! Sing me dit qu’ils ont de la chance car eux ont une source sur leur terrain, si bien qu’ils ont de l’eau tout le temps. La petite veut jouer avec Eden. Et c’est parti pour la chasse aux poussins ! Eden découvre deux petites chèvres âgées de seulement deux jours. Trop choux !
Au fur et à mesure que la nuit tombe, des gens arrivent. Une cousine, puis un cousin, une amie… Enfin, le grand père. Il parait qu’il a 90 ans ans. J’ai quelques doutes parce que pour arriver chez Sing, ça monte et ça glisse glisse à fond, et je ne vois pas comment il ne s’est pas cassé la figure, dans le noir, à son âge.. mais bon, il est très vieux. On finira par être 14 adultes, et je n’ai pas compté les enfants et bébés ! En fait, le repas que nous finançons permet à toute la famille d’avoir un bon repas. Alors on se réunit. On rit, on fait « chuca ». Geoffrey et moi sommes plus au spectacle qu’autre chose. On a un peu perdu le fil des discussions, même si Sing reste attentive à nous. Personnellement, j’ai arrêté « chuca » assez vite aussi, dangereux ce truc…
Sing nous demande si on veut se coucher. Franchement, pourquoi pas, sauf qu’avec toute la famille dans la même pièce, séparée de notre « chambre » par un drap, on ne voit pas comment…en fait tout le monde s’éclipse. J’ai un peu peur que ce soit à cause de nous. Sing me dira que tout le monde a décrété qu’il était assez tard et qu’il fallait rentrer. Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est sympa de leur part.
On passe une nuit frigorifique : on est en montagne, et les maisons des Hmong n’ont pas de cheminée, alors ils laissent plein d’ouvertures partout, et il fait bien bien froid la nuit. Au réveil, le temps a changé, on est de nouveau dans la bruine et le brouillard. Les enfants de Sing se préparent pour l’école. La petite pleure parce qu’elle ne veut pas mettre ses tongs, elle a froid (tu m’étonnes !)…On prend un super petit-déjeuner, préparé par Sing et son mari, et on repart. Comme le temps n’est vraiment pas clément, on restera sur les petits chemins goudronnés, tant pis. Je ne vois pas comment on pouvait marcher ailleurs de toute façon.
On rencontre un jeune couple franco-hollandais voyageant au long cours, comme nous. On déjeune dans un « restaurant » près d’une jolie cascade, et on finit notre trek dans la brume. Assez contents de se dire qu’on dormira au chaud et au sec ce soir quand même…
Le retour en taxi est épique. Il pleut, la route en travaux est devenue un vaste terrain de boue glissante à flanc de montagne. Franchement, vivement qu’on arrive à Sapa…
En arrivant chez Ethos, Phil nous attend mais il est préoccupé : une femme d’une tribu a accouché et le bébé ne va pas bien…. Le grand-père est là pour voir comment Phil peut l’aider. On ne s’attarde pas trop : il faut que Phil puisse se concentrer, et Sing doit encore rentrer chez elle. Je lui demande si ça va aller, si elle ne préfère pas dormir ici. Non, on va venir la chercher en scooter. Vu les routes et le temps… je suis un peu inquiète. Elle me rassure… C’est son quotidien…
Le lendemain, 23 Novembre, il ne fait toujours pas beau sur Sapa. On hésitait à rester et prolonger peut être par un homestay (dormir chez l’habitant mais dans des maisons un peu moins modestes que celles de Sing) ou refaire un trek avec une jeune Hmong croisée dans la rue. La météo nous en dissuadera. On repart donc, en minibus version luxe, vers Hanoi. A la fois un peu frustrés par la meteo, de ne pas avoir passé plus de temps dans la nature, mais surtout en ayant le sentiment d’avoir vécu une expérience très forte avec Sing et les siens. Une asiatique en riche veste en fourrure refuse de s’installer et nous empêche tous de partir car elle a payé pour un service « Limousine » et se retrouve à l’avant près du chauffeur, pas assez « luxe » pour elle. On vient de quitter Sing la veille. C’en est trop…Je l’invite à s’assoir, ou s’en aller. Non mais…
Vous avez aimé notre article ? alors n’hésitez pas à liker et partager ! et puis laissez-nous un petit commentaire, on y répondra avec plaisir. Vous pouvez aussi vous abonner au blog ! 😉
3 réflexions sur « Sapa, rendez-vous en terre Hmong »